Le dossier du numéro 16 de la revue Plural Pluriel est consacré à l’œuvre polyédrique de l’artiste portugaise Ana Hatherly (1929-2015). Poète, auteur de fiction, peintre, essayiste, cinéaste, professeur des universités, Ana Hatherly a commencé son activité littéraire et artistique à la fin des années 50. Son travail a comme point de départ une scission intérieure, non comme un Moi séparé, mais comme «une autre partie du Moi» : «c’est la main intelligente à transmettre ce processus».

Les articles du dossier tracent, analysent et problématisent l’histoire de la poésie d’avant-garde et expérimentale, et le rôle de Ana Hatherly dans ces mouvements. C’est le cas de Fernando Martinho qui, dans «Caminhos da modernidade na poesia de Ana Hatherly», étudie le parcours poétique de l’auteure dans la perspective de son inclusion dans la tradition moderniste portugaise. Cependant le parcours de Ana Hatherly ne se limite pas à ce mouvement ; elle exploite et prolonge l’éclat du Baroque, avec des études pionnières sur ce mouvement dans la Péninsule ibérique, et l’utilisation de techniques baroques du langage dans son œuvre, comme le montrent les trois articles suivants. Isabel Almeida, dans «Le baroque chez Ana Hatherly», montre comment l’auteure valorise la poésie visuelle, le ludus riche de prodiges et défis, et établit un intime rapport entre poesia et pictura. Pedro Sena-Lino et António Carlos Cortez travaillent le baroque du point de vue de deux ouvrages particuliers : «Anagramático» et «A experiência do prodígio». Ces deux derniers articles analysent certaines tendances du courant baroque qui trouvent un écho fondamental chez Ana Hatherly – la défragmentation et la pensée hermétique.

Le rapport avec les autres arts – littérature, arts visuels et plastiques, musique, cinéma et performance – constitue un autre noyau de ce dossier. Catherine Dumas, dans «Le sujet féminin et ses métamorphoses chez l’artiste Ana Hatherly», propose une analyse de l’œuvre visuelle et fictionnelle qui déstabilise les identités figées, et en particulier celle du sujet féminin par le fantasme pulsionnel de l’androgynie. La liaison avec la musique est mise en évidence par Ana Paixão avec «La tessiture du temps. La musique des textes de Ana Hatherly». Les notions de frontière entre la musique et la littérature sont effacées dans l’œuvre de l’auteure, qui remet en question les différentes conceptions de temps, sous-jacentes aux deux arts. Gilda Santos, de son côté, dans son article «De la texture de l’énigme : quelques fils à défi(l)er Le toucher de Ana Hatherly», porte son attention sur le dialogue ekphrastique avec la tapisserie médiévale de l'ensemble «La Dame à la licorne», où l'acte de tissage et de l'écriture deviennent équivalents. João Silvério, avec «Ana Hatherly : une géographie anagrammatique», présente quelques dessins et objets sculpturaux appartenant à la collection de la FLAD, et établit un rapport avec certaines œuvres poétiques et performatives de l’auteure. La production cinématographique hatherlyenne est étudiée par Luís Alves de Matos, dans «Vestígios do 25 de abril nos filmes de Ana Hatherly». Se consacrant aux films Revolução de 1975 et Rotura de 1977, il crée un dialogue entre production filmique et poétique. Quant à Sandra Guerreiro Dias, dans «Poesia e corpo, em Ana Hatherly», elle analyse la centralité du corps dans l’univers artistique et théorique de l’auteure, en s’appuyant sur la relation structurante entre le corps et le langage.

La pensée, avec les approches philosophiques occidentales et orientales, la psychanalyse, l’anthropologie ou l’histoire de la culture, parcourt transversalement l’œuvre de Ana Hatherly. Ana Marques Gastão met ces aspects primordiaux en relief dans les deux articles «O Mestre : uma novela filosófica» et «As Tisanas de Ana Hatherly – auto-retrato de um samurai ocidental». O Mestre est analysé comme roman expérimental, l’associant au monde des représentations religieuses, et exposant une inclinaison exotique pour les nombres et les lettres. L’œuvre prend une méfiance de la langue comme mode de représenter la réalité, adopte des expressions ésotériques d'avant-garde et se concentre sur le désir, le pouvoir, l’incommunicabilité et l'impossibilité. Les 463 Tisanas sont étudiées du point de vue de leur nature énigmatique, de l'Expérimentalisme, de la Psychanalyse, du Structuralisme et du Bouddhisme Zen.

Considérant la richesse et la qualité des matériaux disponibles sur l’œuvre de Ana Hatherly, thème de ce dossier, des espaces habituellement ‘hors thème’ ont été mis à disposition des directeurs de ce numéro. Ainsi la section «Documents» reprend trois : un témoignage de Ana Marques Gastão, intitulé «Ana Hatherly : la solitude qui rit» ; un entretien de Pedro Sena Lino «Hatherliana : étayer la résurrection. Entretien avec Ana Hatherly» ; et une bio-bibliographie établie par Ana Paixão et José Manuel da Costa Esteves.

De même, la section réservée aux comptes-rendus reprend des textes déjà publiés et consacrés à l’œuvre de Ana Hatherly : ainsi sont présentés à la fin de ce numéro : (1) Ana Paixão, Ana Hatherly, L’invention de l’écriture ; (2) Ana Marques Gastão, Le roi de Pierre ; (3) Anabela Galhardo Couto, Ana Hatherly, Esperança e Desejo. Aspectos do pensamento utópico barroco (inédita).

Ce numéro n’aurait pu voir le jour sans quelques contributions fondamentales. Nous remercions : la FLAD (Fondation luso-américaine pour le développement), et plus particulièrement João Silvério, qui a gracieusement cédé les droits de toutes les images, notamment celle utilisée pour la couverture de ce numéro (Gravure de Ana Hatherly: catalogue de la FLAD - numéro 415, 13,2 x 8,9 cm); le journal Público, qui a permis de publier l’entretien conduit par Pedro Sena-Lino «Hatherliana : étayer la résurrection» ; Nuno Júdice, directeur de la revue Colóquio/Letras, pour l'autorisation de la publication en français de la recension de Ana paixão au livre de Ana Hathetly, «L’invention de l’écriture» ; Catherine Dumas pour les multiples et excellentes traductions ; Ana Marques Gastão, qui a proposé l’organisation du colloque international Le Labyrinthe. La chasse de l’improbable et l’œuvre de Ana Hatherly en 2013, qui conduisit à la publication de ce dossier dans Plural Pluriel, revue des cultures de langue portugaise, mais aussi pour son dynamisme et son appui indéfectible dans toutes les phases du projet, pour son rôle de médiatrice et sa connaissance de l’œuvre et de l’auteure.

L’équipe éditoriale de Plural Pluriel a joué un rôle tout particulier dans la préparation et la publication de ce numéro par la qualité du travail des nouveaux éditeurs et graphistes. Daniel Borges, Raisa França Bastos, Daniella Almada, Renata Leahy et Ricardo Soares ont formé une équipe dynamique et créative.

Avec cette publication, nous espérons pouvoir contribuer à la projection internationale de l’une des œuvres les plus originales du XXe siècle portugais, celle de Ana Hatherly.

Ana Paixão et José Manuel Esteves
Idelette Muzart - Fonseca dos Santos

Publiée: 22-09-2017